Réflexions pratiques sur l'expertise CCI (colloque "Expertises faillibles, justice fragile" Assemblée Nationale)
-Poser la question des limites de l'expertise diligentée en Commission Régionale de Conciliation et d'Indemnisation (CRCI) peut d'emblée sembler indécent à la lecture des dispositions de la loi du 4 mars 2002.
Outre un règlement amiable du dossier annoncé en dix mois, il est promis une expertise collégiale, contradictoire aux frais avancés de l'Office National d'Indemnisation des accidents Médicaux (ONIAM, article L 1142- 12 CSP).
Dans ces conditions, pourquoi continuer à procéder de nombreux mois, voire de nombreuses années, devant les juridictions de l'ordre judiciaire ou administratif, avec l'obligation de consigner des provisions souvent importantes ?
Parce qu'au delà du dispositif a priori séduisant, la pratique de l'expertise CRCI pose question.
Qu'on comprenne bien le propos : il ne s'agit pas dans le cadre de ces quelques lignes de nier tout intérêt au dispositif de règlement amiable posé par la Loi Kouchner.
Les experts désignés font en majorité un travail de qualité.
Il s'agit plutôt de mettre en lumière quelques insuffisances essentielles de la procédure d'expertise CRCI, principalement en ce qui concerne le respect du principe du contradictoire, et ce pour plusieurs raisons:
La loi Kouchner donne d'abord à la victime l'illusion d'une procédure facile en lui permettant de déposer son dossier seule et de se rendre à l'expertise accompagnée de toute personne de son choix.
L'intention est louable mais faussement avantageuse car les victimes se présentent souvent naïvement avec un proche parent qui, s'il offre un secours psychologique indéniable, est inapte à la discussion médico légale.
On sait que la consultation préalable d'un conseil permet de préparer la victime à l'épreuve, forcément impressionnante de la réunion.
Elle permet également de préparer les éléments nécessaires au débat, que ce soit à l'attention de l'expert ou des autres parties.
Elle permet enfin d'apporter une réelle contradiction, technique et juridique lors de la réunion d'expertise, surtout lorsque l'on sait que les professionnels de santé sont systématiquement assistés d'un médecin conseil voire d'un avocat !
Non assistée, la victime est souvent frustrée, en ayant le sentiment de n'avoir été ni comprise ni entendue.
Pire, des point fondamentaux de discussion peuvent avoir été escamotés, tant sur les causes de l'accident que sur ses conséquences.
Ceci est d'autant plus vrai que la procédure d'élaboration du rapport est beaucoup moins formaliste que dans le cadre d'une expertise ordonnée par une juridiction.
A l'inverse des expertises ordonnées devant le Tribunal, les experts ne sont pas tenus au dépôt d'un pré rapport pouvant donner lieu à dire des parties.
La loi indique juste que la possibilité de faire des observations et de joindre des documents (L 142- 12 CSP), ce qui est rarement usité lorsque la victime n'est pas assistée d'un professionnel.
Un certain nombre de questions peuvent rester en suspens, les victimes et/ ou praticiens ou établissements se retrouvant à l'audience de la Commission avec un rapport lacunaire, ce qui n'est pas satisfaisant.
Sans doute faudrait- il inciter plus systématiquement à l'assistance d'un conseil apte à poser les bonnes questions lors de l'expertise tant il est vrai « qu'une bonne expertise c'est un bon expert, de bons médecins conseil et de bons avocats ».
Sans doute faudrait-il obliger également au dépôt d'un rapport d'étape permettant aux parties de connaitre exactement la tendance de l'expert pour faire les observations qu'elles jugent utiles.
En second, lieu les opérations d'expertise ne sont pas contradictoires vis-à-vis de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.
On connaît la position singulière de l'Office qui finance la CRCI, les expertises, siège à la CRCI, et peut être amenée à indemniser directement ou par substitution !
Il serait sans doute trop long de développer toute l'ambiguïté de cette posture qui rend l'Office « juge et payeur », et son impact sur la crédibilité et l'efficacité du système.
Car en tant que juge et payeur, l'ONIAM est presque juge et partie... sauf que le rapport d'expertise n'est pas contradictoire à son égard, ce qui achève de brouiller les pistes, et empoisonne notablement le débat, tant au niveau du règlement amiable que de l'éventuel recours juridictionnel postérieur.
En effet, dans la mesure où l'Office n'est pas présent aux opérations d'expertise, sa position est complètement occulte tant pour les victimes que les professionnels de santé.
Cela est évidemment regrettable lorsque le dossier est susceptible d'amener une prise en charge de l'ONIAM.
A l'audience de la Commission, les parties restent dans l'ignorance de la position définitive de l'Office, lequel, rappelons-le, siège à la CRCI !
Le contradictoire n'est donc pas véritablement respecté, même s'il est toujours possible de se retrancher derrière l'argument selon lequel l'Office n'est pas partie au dossier.
Mais comment ne pas considérer qu'il ne soit pas partie dès lors qu'il peut être amené à régler le litige ?
Tout cela est un peu incohérent.
D'autant que dans l'hypothèse d'un recours juridictionnel postérieur, l'ONIAM devient officiellement partie à la procédure, sa mise en cause étant même obligatoirement prévue par les textes !
Pour autant, la situation reste trouble : le rapport est- il opposable à l'ONIAM ?
Car l'Office ne manque généralement pas de jouer de l'ambiguïté.
En effet, de deux choses l'une :
Soit le rapport CRCI lui est défavorable, et l'Office en conteste systématiquement l'opposabilité en invoquant qu'il n'a pas été partie aux opérations d'expertise qui ne sont donc pas contradictoires, et que la procédure amiable est parfaitement indépendante de la procédure judiciaire et qu'il n'est donc pas possible de se prévaloir de l'expertise amiable et de l'avis de la Commission.
Soit le rapport lui est favorable, et l'Office s'y réfère sans s'y référer en demandant à titre principal l'homologation du rapport le mettant hors de cause, à titre subsidiaire la mise en place d'une nouvelle expertise !
Autrement dit l'Office se sert du rapport comme bon lui semble.
Face à ce genre d'argumentaire, les juridictions apparaissent divisées. Elles le rejettent parfois en reconnaissant la valeur de l'expertise réalisée dans le cadre des opérations amiables, nonobstant l'absence de l'Office (TGI Rennes, civ 1, 4 juillet 2008).
Elles y font parfois droit, ce qui oblige les victimes à solliciter une nouvelle expertise dans le cadre judiciaire.
Le constat est donc assez sombre : entre les garanties relatives du contradictoire lors de la procédure d'expertise, la place singulière de l'ONIAM, et la perspective de devoir repartir sur une nouvelle expertise en juridiction, est- il encore utile de conseiller le recours à la CRCI ?
Il est permis d'en douter.
Guillaume CHAUVEL
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